«Les jambes et la tête»: la reconversion du sportif n’est pas toujours simple
«Les jambes et la tête»: la reconversion du sportif n’est pas toujours simple «Si j’avais été coureur aujourd’hui, je ne pense pas que j’aurais dû ouvrir une usine de cycles», plaisante souvent Eddy Merckx. - Le Soir. En captant l’attention médiatique universelle l’autre jour, Gary Lineker a rappelé qu’un sportif de haut niveau peut devenir encore davantage star dans sa reconversion. L’Anglais a pourtant été meilleur buteur de la Coupe du monde, en 1986, mais il est aujourd’hui le journaliste sportif le plus écouté outre-Manche. C’est un sujet sérieux, la reconversion du sportif, car elle exige de l’intéressé un conditionnement psychologique préalable. Sauf pour les plus nantis, la retraite à 35 ans est compliquée à imaginer. Et il n’y a pas forcément du travail sous prétexte qu’on a été dans la lumière pendant une quinzaine d’années. À lire aussi Voici pourquoi l’affaire Gary Lineker secoue toute l’Angleterre Lorsque le sport rémunérait nettement moins qu’aujourd’hui, il convenait de préparer sérieusement l’après… pendant la carrière. « Si j’avais été coureur aujourd’hui, je ne pense pas que j’aurais dû ouvrir une usine de cycles », plaisante souvent Eddy Merckx à ce propos. Le meilleur coureur de tous les temps avait dû investir beaucoup d’énergie et d’argent propre dans l’aventure de sa fabrique de vélos à Meise où il engagea plusieurs de ses anciens équipiers. « Au début, ce fut vraiment une galère, j’avais été moyennement conseillé par des intéressés peu scrupuleux, mais j’y suis arrivé. Je le répète souvent : je suis aussi fier de ma reconversion professionnelle que de ma carrière de sportif. » Son ami Paul Van Himst, lui, revint à ses premières amours en rachetant la société Brésor pour laquelle il travaillait tous les matins avant d’aller à l’entraînement à Anderlecht. Le café ne l’empêcha pas d’être coach, au Sporting, au RWDM puis en équipe nationale, mais il se lassa de la pression liée à ce qu’il considérait en priorité comme une passion avant de se concentrer exclusivement sur son arabica à partir de 1996. Pour citer un dernier exemple de cette génération dorée, Wilfried Van Moer, lui, se lança dans l’horeca en ouvrant à Hasselt ce qui devint un lieu culte, et l’est d’ailleurs toujours aujourd’hui moins de deux ans après sa mort : le café-restaurant Le Wembley où il ne dévissait pas de son tabouret derrière le tiroir-caisse. Si les sportifs sont mieux payés aujourd’hui, au point de pouvoir faire vivre plusieurs générations de leur descendance simplement avec des placements judicieux, de l’immobilier etc., tous n’ont pas eu la chance de garnir leur portefeuille, en particulier dans les sports moins rémunérateurs. La reconversion du sportif est même devenue un business pour des sociétés qui ont fleuri un peu partout. Elles proposent de sortir l’ex-champion de la bulle dans laquelle il était choyé, servi, adulé, aveuglé par la lumière médiatique. Certains d’entre eux n’ont jamais cuisiné, donné un coup de torchon ou rempli leur feuille d’impôts. Oubliés du jour au lendemain, ils n’ont pas tous l’équilibre nécessaire pour valoriser des compétences qu’ils ignorent la plupart du temps. Tous n’ont pas envie d’ouvrir un bistrot et de se heurter brutalement à une sorte de désœuvrement qu’ils ne connaissaient pas avant. Tous n’ont pas envie de devenir entraîneur, coach mental, nutritionniste, manager, agent ou consultant. Car tous ne possèdent pas non plus les compétences, d’un Gary Lineker par exemple, qui n’est pas consultant mais bel et bien journaliste sportif à la BBC, la nuance est d’importance. Eviter de sombrer en dépression Parmi ceux qui ont tourné le dos définitivement à leur sport et aux débouchés que celui-ci pouvait éventuellement proposer, il y eut des exemples percutants. Eric Cantona dans le cinéma, Yannick Noah dans la chanson. D’autres ont même tenté la politique. Roger Lespagnard, l’ancien coach de Nafissatou Thiam a été député et surtout, plus tard, bourgmestre de Fléron. Marc Wilmots fut élu sénateur MR avant de juger que ce n’était pas trop son truc. En France, il est courant qu’un ancien sportif devienne ministre des Sports. Au-delà de ces exemples réussis, il y a aussi une quantité invraisemblable d’échecs. Car le problème essentiel, pour le sportif, c’est de ne pas maîtriser les bases d’une recherche d’emploi. Dans de nombreux cas, l’absence de diplôme ne coïncide pas avec les attentes d’une entreprise. Certains reprennent d’ailleurs des études commencées avant leur carrière d’athlète au plus haut niveau. Pour les plus déboussolés, il existe sur internet quantité de « boîtes » qui viennent en aide aux indécis, moyennant des sessions de cours. Il est nécessaire pour les intéressés de déterminer leurs souhaits, ce que ces agences proposent. La retraite sportive est souvent vécue comme une mise à l’écart, une perte d’identité, c’est sur ce point que les instructeurs travaillent pour éviter ce qui touche un nombre important de compétiteurs : la dépression. Cette situation vaut d’ailleurs aussi pour un travailleur lambda car tous n’ont pas envie de partir à la retraite. L’ébauche d’une nouvelle identité professionnelle passe donc en priorité par un énorme travail sur soi, le rejet de l’ego, l’acceptation de l’anonymat, celle aussi d’un labeur moins jouissif. Ceux et celles qui ont pratiqué un sport individuel se reconvertissent en principe plus facilement, car durant leur carrière, ils ont dû gérer l’organisation, le stress et surtout une forme d’autonomie. Puisque c’est dimanche Gand-Wevelgem, citons ainsi comme dernier exemple celui qui est passé d’un sport à un autre. Du haut de ses 217 centimètres, l’ancien joueur de basket du Real Madrid Tomas Van Den Spiegel est devenu le CEO de Flanders Classics, la société créée par Wouter Vandenhaute… Après leur carrière, tous ne deviennent pas consultants, journalistes ou entraîneurs. Aujourd’hui, de plus en plus de sociétés proposent aux sportifs professionnels d’anticiper par rapport à une « retraite » qu’ils prennent à 35 ans… Par Stéphane Thirion Journaliste au service Sports Le 24/03/2023 à 10:47
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«Les jambes et la tête»: la reconversion du sportif n’est pas toujours simple
«Les jambes et la tête»: la reconversion du sportif n’est pas toujours simple «Si j’avais été coureur aujourd’hui, je ne pense pas que j’aurais dû ouvrir une usine de cycles», plaisante souvent Eddy Merckx. - Le Soir. En captant l’attention médiatique universelle l’autre jour, Gary Lineker a rappelé qu’un sportif de haut niveau peut devenir encore davantage star dans sa reconversion. L’Anglais a pourtant été meilleur buteur de la Coupe du monde, en 1986, mais il est aujourd’hui le journaliste sportif le plus écouté outre-Manche. C’est un sujet sérieux, la reconversion du sportif, car elle exige de l’intéressé un conditionnement psychologique préalable. Sauf pour les plus nantis, la retraite à 35 ans est compliquée à imaginer. Et il n’y a pas forcément du travail sous prétexte qu’on a été dans la lumière pendant une quinzaine d’années. À lire aussi Voici pourquoi l’affaire Gary Lineker secoue toute l’Angleterre Lorsque le sport rémunérait nettement moins qu’aujourd’hui, il convenait de préparer sérieusement l’après… pendant la carrière. « Si j’avais été coureur aujourd’hui, je ne pense pas que j’aurais dû ouvrir une usine de cycles », plaisante souvent Eddy Merckx à ce propos. Le meilleur coureur de tous les temps avait dû investir beaucoup d’énergie et d’argent propre dans l’aventure de sa fabrique de vélos à Meise où il engagea plusieurs de ses anciens équipiers. « Au début, ce fut vraiment une galère, j’avais été moyennement conseillé par des intéressés peu scrupuleux, mais j’y suis arrivé. Je le répète souvent : je suis aussi fier de ma reconversion professionnelle que de ma carrière de sportif. » Son ami Paul Van Himst, lui, revint à ses premières amours en rachetant la société Brésor pour laquelle il travaillait tous les matins avant d’aller à l’entraînement à Anderlecht. Le café ne l’empêcha pas d’être coach, au Sporting, au RWDM puis en équipe nationale, mais il se lassa de la pression liée à ce qu’il considérait en priorité comme une passion avant de se concentrer exclusivement sur son arabica à partir de 1996. Pour citer un dernier exemple de cette génération dorée, Wilfried Van Moer, lui, se lança dans l’horeca en ouvrant à Hasselt ce qui devint un lieu culte, et l’est d’ailleurs toujours aujourd’hui moins de deux ans après sa mort : le café-restaurant Le Wembley où il ne dévissait pas de son tabouret derrière le tiroir-caisse. Si les sportifs sont mieux payés aujourd’hui, au point de pouvoir faire vivre plusieurs générations de leur descendance simplement avec des placements judicieux, de l’immobilier etc., tous n’ont pas eu la chance de garnir leur portefeuille, en particulier dans les sports moins rémunérateurs. La reconversion du sportif est même devenue un business pour des sociétés qui ont fleuri un peu partout. Elles proposent de sortir l’ex-champion de la bulle dans laquelle il était choyé, servi, adulé, aveuglé par la lumière médiatique. Certains d’entre eux n’ont jamais cuisiné, donné un coup de torchon ou rempli leur feuille d’impôts. Oubliés du jour au lendemain, ils n’ont pas tous l’équilibre nécessaire pour valoriser des compétences qu’ils ignorent la plupart du temps. Tous n’ont pas envie d’ouvrir un bistrot et de se heurter brutalement à une sorte de désœuvrement qu’ils ne connaissaient pas avant. Tous n’ont pas envie de devenir entraîneur, coach mental, nutritionniste, manager, agent ou consultant. Car tous ne possèdent pas non plus les compétences, d’un Gary Lineker par exemple, qui n’est pas consultant mais bel et bien journaliste sportif à la BBC, la nuance est d’importance. Eviter de sombrer en dépression Parmi ceux qui ont tourné le dos définitivement à leur sport et aux débouchés que celui-ci pouvait éventuellement proposer, il y eut des exemples percutants. Eric Cantona dans le cinéma, Yannick Noah dans la chanson. D’autres ont même tenté la politique. Roger Lespagnard, l’ancien coach de Nafissatou Thiam a été député et surtout, plus tard, bourgmestre de Fléron. Marc Wilmots fut élu sénateur MR avant de juger que ce n’était pas trop son truc. En France, il est courant qu’un ancien sportif devienne ministre des Sports. Au-delà de ces exemples réussis, il y a aussi une quantité invraisemblable d’échecs. Car le problème essentiel, pour le sportif, c’est de ne pas maîtriser les bases d’une recherche d’emploi. Dans de nombreux cas, l’absence de diplôme ne coïncide pas avec les attentes d’une entreprise. Certains reprennent d’ailleurs des études commencées avant leur carrière d’athlète au plus haut niveau. Pour les plus déboussolés, il existe sur internet quantité de « boîtes » qui viennent en aide aux indécis, moyennant des sessions de cours. Il est nécessaire pour les intéressés de déterminer leurs souhaits, ce que ces agences proposent. La retraite sportive est souvent vécue comme une mise à l’écart, une perte d’identité, c’est sur ce point que les instructeurs travaillent pour éviter ce qui touche un nombre important de compétiteurs : la dépression. Cette situation vaut d’ailleurs aussi pour un travailleur lambda car tous n’ont pas envie de partir à la retraite. L’ébauche d’une nouvelle identité professionnelle passe donc en priorité par un énorme travail sur soi, le rejet de l’ego, l’acceptation de l’anonymat, celle aussi d’un labeur moins jouissif. Ceux et celles qui ont pratiqué un sport individuel se reconvertissent en principe plus facilement, car durant leur carrière, ils ont dû gérer l’organisation, le stress et surtout une forme d’autonomie. Puisque c’est dimanche Gand-Wevelgem, citons ainsi comme dernier exemple celui qui est passé d’un sport à un autre. Du haut de ses 217 centimètres, l’ancien joueur de basket du Real Madrid Tomas Van Den Spiegel est devenu le CEO de Flanders Classics, la société créée par Wouter Vandenhaute… Après leur carrière, tous ne deviennent pas consultants, journalistes ou entraîneurs. Aujourd’hui, de plus en plus de sociétés proposent aux sportifs professionnels d’anticiper par rapport à une « retraite » qu’ils prennent à 35 ans… Par Stéphane Thirion Journaliste au service Sports Le 24/03/2023 à 10:47