L’Allemagne paralysée par les grèves

Plus de trains, plus d’avions, plus de bateaux… Pour certains pays d’Europe, rien d’extraordinaire. Mais pour les Allemands, c’est pratiquement l’état d’urgence. La « méga-grève » (Mega-Streik, comme disent les médias), organisée ce lundi par le syndicat des services publics (Verdi) et des cheminots (EVG), sera exceptionnelle pour un pays réputé pour son art du compromis dans les négociations salariales.
On n’avait pas vu un mouvement d’une telle ampleur depuis les années 90. « Il faut quand même garder les pieds sur terre. Cette grève est tout à fait normale, tempère Karl Brenke, expert du marché du travail à l’institut de conjoncture et de recherches économiques de Berlin (DIW). Beaucoup d’accords tarifaires arrivent actuellement à échéance et il faut renégocier les salaires dans un contexte très particulier : l’inflation. Par ailleurs, deux syndicats négocient parallèlement et font grève en même temps. »
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Deux grèves simultanées qui vont paralyser l’Allemagne. Le trafic grandes lignes sera pratiquement suspendu. « Pour ce lundi, nous ne prévoyons pratiquement aucune circulation », a confirmé Martin Seiler, le directeur du personnel de la compagnie ferroviaire allemande, Deutsche Bahn (DB). Dans les aéroports, près de 400.000 voyageurs ont annulé leur vol, selon les chiffres de la Fédération des aéroports (ADV).
Des demandes considérablesAprès plusieurs rounds de négociations, les syndicats restent sur leurs positions. Dans le contexte d’une inflation galopante (6,9 % en 2022), ils tiennent à une revalorisation des salaires conséquente. Le syndicat des services (Verdi) et celui des fonctionnaires (dbb) veulent +10,5 % pour 2,5 millions de salariés du secteur public et un minimum garanti de +500 euros par mois pour les plus petits salaires (cela correspond à des hausses allant jusqu’à +25 %). Le syndicat des cheminots (EVG) réclame encore plus : +12 % pour les 180.000 employés de la Deutsche Bahn avec un minimum de +650 euros.
De l’autre côté de la table des négociations, les employeurs se sont arrêtés à + 5 % sur deux ans et une prime défiscalisée de 2.500 euros. Une offre qualifiée « d’irrespectueuse » et « d’insultante » par Frank Werneke, le chef de Verdi, et Kristian Loroch, le patron du EVG.
« Ces revendications se justifient car les salaires réels baissent depuis trois ans », insiste Thorsten Schulten, expert du marché du travail à l’Institut des sciences économiques et sociales de la Fondation Hans-Böckler (WSI), une institution proche des syndicats. Les arguments du patronat, qui dénonce des revendications « disproportionnées », sont indéfendables, estime-t-il. « On ne peut pas parler d’une spirale des salaires mais plutôt d’une spirale des profits. Dans de nombreux secteurs, les bénéfices ont atteint des records », ajoute-il.
Le soutien du peupleLes grèves « d’avertissement » qui ont lieu depuis plusieurs semaines sont d’ailleurs largement soutenues par la population. Plus des trois quarts des Allemands (77 %) ont de la « compréhension » pour les débrayages (20 % contre), selon un sondage de l’Institut « Forschungsgruppe Wahlen ».
Le patronat accuse par ailleurs les syndicats d’instrumentaliser la grève pour renforcer leur influence. Verdi s’est félicité d’avoir gagné 50.000 nouveaux adhérents en deux mois. « Les organisations, dont le nombre d’adhérents décline depuis 20 ans, ont repris du poids dans les négociations ces dernières années grâce à un marché du travail très dynamique et concurrentiel », confirme Karl Brenke.
Il s’agit enfin de défendre l’attractivité du service public. « Les hausses doivent permettre d’avoir des salaires capables de concurrencer le secteur privé dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre », insiste Thorsten Schulten.
Un vaste mouvement de grève va paralyser les transports ce lundi en Allemagne. Les syndicats des services publics et des cheminots font monter la pression pour obtenir des hausses de salaire de plus de 10 % auprès du patronat et des collectivités locales.