«Edouard VIII aurait fait à coup sûr un super-Pétain»
«Edouard VIII aurait fait à coup sûr un super-Pétain» EPA. A l’Allemagne nazie, la domination du continent. A l’Angleterre, celle des mers. Voici comment Adolf Hitler voyait le partage du monde de l’après-guerre. Dans L’Aigle et le Léopard, l’historien français Eric Branca revient sur ce scénario qui aurait pu aboutir si le Fürher n’avait trouvé sur son chemin un certain Winston Churchill. Votre livre décrypte les « liaisons dangereuses entre l’Angleterre et le IIIe Reich ». Elles furent au cœur de la politique étrangère d’Hitler dès la rédaction de Mein Kampf en 1924. Absolument. Beaucoup de choses concernent la politique étrangère du futur IIIe Reich dans Mein Kampf. Mais il y en a bien davantage dans le second livre d’Adolf Hitler qui aurait dû paraître en 1927-1928, mais n’a été publié que bien après sa mort, soit en 1961-1962. On y découvre que toute la géopolitique du Führer est organisée autour de l’alliance avec l’Angleterre. A lire par ailleurs ses Libres propos , on comprend qu’il n’y a pas un jour durant le second conflit mondial où Adolf Hitler n’ait parlé de la Grande-Bretagne et de la difficulté de faire la paix avec elle. C’est une constante dans sa géopolitique. Vous évoquez longuement l’admiration pour le national-socialisme et Hitler que concevait Edouard VIII – le roi qui a renoncé au trône en 1936 pour épouser sa maîtresse Wallis Simpson. Hormis l’ex-souverain, de quels appuis le IIIe Reich disposait-il en Grande-Bretagne ? Edouard VIII est la face émergée de l’iceberg. Il est certain que si Hitler avait débarqué en Angleterre, l’ex-roi aurait constitué un allié de poids. Le Führer l’aurait remis sur le trône en renforçant ses pouvoirs sur le plan constitutionnel. Edouard VIII aurait fait à coup sûr un « super-Pétain ». Mais si l’affaire Edouard VIII est importante, spectaculaire, les soutiens britanniques du IIIe Reich ont largement dépassé la famille royale et certains aristocrates. J’ai essayé de montrer dans mon livre que l’alliance jamais conclue avec Hitler aurait été basée sur un partage du monde, et que ce projet était bien accueilli dans beaucoup de secteurs de la société, y compris au sein du Labour, le parti travailliste. Je rappelle qu’Oswald Mosley, le chef du parti fasciste britannique, était lui-même un aristocrate, et qu’il avait effectué une partie de sa carrière chez les travaillistes. La grande banque et les milieux financiers étaient également de la partie. Dont Montaigu Norman, le gouverneur de la banque d’Angleterre, qui était très proche d’Hjalmar Schacht, le ministre de l’Economie d’Hitler. Il était le parrain de son petit-fils. Dans tous les milieux influents anglais, il y avait sinon une fascination, du moins une volonté de faire alliance avec le IIIe Reich au motif qu’il ménagerait l’Empire britannique. Sans parler d’une forte prégnance de l’antisémitisme. Hitler a séduit l’élite outre-Manche en lui expliquant que, si elle trouvait un arrangement avec lui, il garantirait l’avenir de l’empire britannique qui commençait alors à craquer de toutes parts. L’historien britannique Julian Jackson explique pour sa part que la société britannique eût été beaucoup plus prompte que la société française à tomber dans l’escarcelle d’Hitler. Vous rappelez comment le duc de Windsor – l’ex-Edouard VIII – et sa femme ont bu du petit-lait lors d’une rencontre en 1937 avec le Führer à Berchtesgaden. On est abasourdi par un tel manque de lucidité… Alan « Tommy » Lascelles, qui fut le secrétaire de George V, a démissionné en voyant comment Edouard VIII gouvernait. Il est ensuite passé au service de George VI et a guidé les premiers pas d’Elizabeth lorsqu’elle est devenue reine en 1953. Dans ses mémoires, il écrit qu’Edouard VIII avait le mental d’un garçon de 15 ans, le jugeant un petit peu arriéré. D’où l’influence extraordinaire qu’a eue sur lui Walis Simpson quand il l’a rencontrée. Wallis Simpson dont il faut se souvenir qu’elle avait été la maîtresse du ministre des Affaires étrangères du IIIe Reich Joachim von Ribbentrop, lequel avait été ambassadeur à Londres avant-guerre. Auparavant, elle avait été la maîtresse de Ciano, le gendre de Mussolini. Elle était très engagée aux côtés des fascistes et des nazis. Elle a joué un rôle de poisson-pilote. Dans l’introduction de votre ouvrage, vous revenez sur la « une » du Sun du 18 juin 2015 qui titrait « Their Royal Heilnesses » en référence à une vidéo montrant la future Elizabeth II âgée de 7 ans singeant le salut nazi. Je crois qu’on peut dire que, globalement, à part Edouard VIII, la famille royale s’est montrée à peu près correcte. Notamment les parents de la reine Elizabeth II, George VI et Elizabeth Bowes-Lyon. Mais cet épisode fait partie de leur histoire familiale. On se souvient qu’en 2005, le prince Harry avait fait scandale en portant lors d’une soirée costumée un uniforme de l’Afrika Corps. C’est le même aujourd’hui qui affirme que sa famille est raciste. Il faudrait qu’il balaie devant sa porte… Il y a donc une vieille obsession récurrente chez les Windsor. Mais Elizabeth II et son mari se sont montrés parfaits. Les parents de la reine plus encore. Rudolf Hess fait irruption en Ecosse en 1941. Il se croit en charge d’une mission de conciliation prétendument initiée par Hitler. Cette affaire a mis Winston Churchill en mauvaise posture face à Staline qui craignait une paix séparée entre Londres et Berlin. Mais le premier ministre britannique, loin d’être déstabilisé, va au contraire tirer parti des circonstances pour amener la Russie à prendre part au conflit… L’Europe doit beaucoup au rôle de Churchill. Il a tenu tête aux « appeasers » – les partisans de l’apaisement avec l’Allemagne – en 1940. Quant à la récupération de l’affaire Hess, elle tient du coup de génie. Avec elle, Churchill a voulu faire croire à Staline qu’il y avait une possibilité d’entente entre l’Angleterre et l’Allemagne et que lui-même était menacé. En réalité, en 1941, il n’y avait plus aucune chance qu’une telle solution l’emporte. Le « blitz » sur Londres avait eu lieu entre-temps, Lord Halifax et tout le parti de la paix avaient été éliminés. Mais l’Angleterre était en mauvaise posture à cause de la guerre sous-marine, et il était urgent qu’un second front s’ouvre en Europe. Or Staline, malgré les avertissements de Churchill, ne voulait pas croire à l’imminence d’une attaque allemande. L’affaire Hess était pour Churchill l’occasion de le sensibiliser au danger. Directement après la guerre, Churchill a cherché à redorer le blason de la Grande-Bretagne. Il aurait fait détruire des archives compromettantes de Mussolini… Y avait-il dans ces papiers de quoi démontrer que l’Angleterre aurait pu faire un autre régime de Vichy ? Je le pense vraiment. Nous n’aurons jamais la preuve absolue de ce qui est arrivé à ces documents. Mais on sait que Churchill est allé en Italie en 1945 où il a rencontré des gens qui avaient des documents de Mussolini. Les a-t-il lui-même récupérés ? Je ne sais pas. Mais il est clair qu’il a agi pour la réputation de la Grande-Bretagne, n’ayant rien à se reprocher personnellement. Je pense qu’il voulait écrire l’histoire d’une Grande-Bretagne exemplaire, un peu comme De Gaulle a cherché à le faire pour la France. La décolonisation fut une conséquence lointaine de la Seconde Guerre. En se tournant vers les Etats-Unis, Churchill a fait entrer le loup dans la bergerie. Les colonies britanniques deviendront un jour le lieu du grand commerce américain, et donc de l’influence de Washington… Absolument. Ce fut certainement un dilemme profond pour le grand impérialiste qu’était Churchill. Mais n’oublions pas que sa mère était américaine. Et puis il n’a jamais cru aux promesses d’Hitler. Il a donc choisi le camp de la liberté, même si cela devait à terme amputer la Grande-Bretagne d’une grande partie de son empire et de son influence. Après avoir quitté le pouvoir, il a dit à des proches avoir fait énormément de choses qui, finalement, « n’auront servi à rien » car il n’y avait plus d’empire britannique. Tout s’est joué en juin 1940, alors que les troupes françaises et britanniques étaient encerclées à Dunkerque. Si la paix avait été signée à cet instant entre Berlin et Londres, tout aurait été différent. On ne refait pas l’histoire avec des « si ». Mais il est clair que la paix établie, l’Amérique isolationniste n’aurait eu aucun intérêt à reconquérir l’Europe, puisqu’elle n’aurait pas pu compter sur l’Angleterre comme base de départ. L’Aigle et le Léopard, Eric Branca, Editions Perrin, 432 pages, 23,50 € Il s’en est fallu de peu pour que ne réussisse l’entreprise de séduction lancée par Hitler sur Londres avant-guerre. Son échec décidera de l’ordre du monde tel que nous le connaissons encore aujourd’hui. Par Pascal Martin Journaliste au service Forum Le 23/03/2023 à 15:49
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«Edouard VIII aurait fait à coup sûr un super-Pétain»
«Edouard VIII aurait fait à coup sûr un super-Pétain» EPA. A l’Allemagne nazie, la domination du continent. A l’Angleterre, celle des mers. Voici comment Adolf Hitler voyait le partage du monde de l’après-guerre. Dans L’Aigle et le Léopard, l’historien français Eric Branca revient sur ce scénario qui aurait pu aboutir si le Fürher n’avait trouvé sur son chemin un certain Winston Churchill. Votre livre décrypte les « liaisons dangereuses entre l’Angleterre et le IIIe Reich ». Elles furent au cœur de la politique étrangère d’Hitler dès la rédaction de Mein Kampf en 1924. Absolument. Beaucoup de choses concernent la politique étrangère du futur IIIe Reich dans Mein Kampf. Mais il y en a bien davantage dans le second livre d’Adolf Hitler qui aurait dû paraître en 1927-1928, mais n’a été publié que bien après sa mort, soit en 1961-1962. On y découvre que toute la géopolitique du Führer est organisée autour de l’alliance avec l’Angleterre. A lire par ailleurs ses Libres propos , on comprend qu’il n’y a pas un jour durant le second conflit mondial où Adolf Hitler n’ait parlé de la Grande-Bretagne et de la difficulté de faire la paix avec elle. C’est une constante dans sa géopolitique. Vous évoquez longuement l’admiration pour le national-socialisme et Hitler que concevait Edouard VIII – le roi qui a renoncé au trône en 1936 pour épouser sa maîtresse Wallis Simpson. Hormis l’ex-souverain, de quels appuis le IIIe Reich disposait-il en Grande-Bretagne ? Edouard VIII est la face émergée de l’iceberg. Il est certain que si Hitler avait débarqué en Angleterre, l’ex-roi aurait constitué un allié de poids. Le Führer l’aurait remis sur le trône en renforçant ses pouvoirs sur le plan constitutionnel. Edouard VIII aurait fait à coup sûr un « super-Pétain ». Mais si l’affaire Edouard VIII est importante, spectaculaire, les soutiens britanniques du IIIe Reich ont largement dépassé la famille royale et certains aristocrates. J’ai essayé de montrer dans mon livre que l’alliance jamais conclue avec Hitler aurait été basée sur un partage du monde, et que ce projet était bien accueilli dans beaucoup de secteurs de la société, y compris au sein du Labour, le parti travailliste. Je rappelle qu’Oswald Mosley, le chef du parti fasciste britannique, était lui-même un aristocrate, et qu’il avait effectué une partie de sa carrière chez les travaillistes. La grande banque et les milieux financiers étaient également de la partie. Dont Montaigu Norman, le gouverneur de la banque d’Angleterre, qui était très proche d’Hjalmar Schacht, le ministre de l’Economie d’Hitler. Il était le parrain de son petit-fils. Dans tous les milieux influents anglais, il y avait sinon une fascination, du moins une volonté de faire alliance avec le IIIe Reich au motif qu’il ménagerait l’Empire britannique. Sans parler d’une forte prégnance de l’antisémitisme. Hitler a séduit l’élite outre-Manche en lui expliquant que, si elle trouvait un arrangement avec lui, il garantirait l’avenir de l’empire britannique qui commençait alors à craquer de toutes parts. L’historien britannique Julian Jackson explique pour sa part que la société britannique eût été beaucoup plus prompte que la société française à tomber dans l’escarcelle d’Hitler. Vous rappelez comment le duc de Windsor – l’ex-Edouard VIII – et sa femme ont bu du petit-lait lors d’une rencontre en 1937 avec le Führer à Berchtesgaden. On est abasourdi par un tel manque de lucidité… Alan « Tommy » Lascelles, qui fut le secrétaire de George V, a démissionné en voyant comment Edouard VIII gouvernait. Il est ensuite passé au service de George VI et a guidé les premiers pas d’Elizabeth lorsqu’elle est devenue reine en 1953. Dans ses mémoires, il écrit qu’Edouard VIII avait le mental d’un garçon de 15 ans, le jugeant un petit peu arriéré. D’où l’influence extraordinaire qu’a eue sur lui Walis Simpson quand il l’a rencontrée. Wallis Simpson dont il faut se souvenir qu’elle avait été la maîtresse du ministre des Affaires étrangères du IIIe Reich Joachim von Ribbentrop, lequel avait été ambassadeur à Londres avant-guerre. Auparavant, elle avait été la maîtresse de Ciano, le gendre de Mussolini. Elle était très engagée aux côtés des fascistes et des nazis. Elle a joué un rôle de poisson-pilote. Dans l’introduction de votre ouvrage, vous revenez sur la « une » du Sun du 18 juin 2015 qui titrait « Their Royal Heilnesses » en référence à une vidéo montrant la future Elizabeth II âgée de 7 ans singeant le salut nazi. Je crois qu’on peut dire que, globalement, à part Edouard VIII, la famille royale s’est montrée à peu près correcte. Notamment les parents de la reine Elizabeth II, George VI et Elizabeth Bowes-Lyon. Mais cet épisode fait partie de leur histoire familiale. On se souvient qu’en 2005, le prince Harry avait fait scandale en portant lors d’une soirée costumée un uniforme de l’Afrika Corps. C’est le même aujourd’hui qui affirme que sa famille est raciste. Il faudrait qu’il balaie devant sa porte… Il y a donc une vieille obsession récurrente chez les Windsor. Mais Elizabeth II et son mari se sont montrés parfaits. Les parents de la reine plus encore. Rudolf Hess fait irruption en Ecosse en 1941. Il se croit en charge d’une mission de conciliation prétendument initiée par Hitler. Cette affaire a mis Winston Churchill en mauvaise posture face à Staline qui craignait une paix séparée entre Londres et Berlin. Mais le premier ministre britannique, loin d’être déstabilisé, va au contraire tirer parti des circonstances pour amener la Russie à prendre part au conflit… L’Europe doit beaucoup au rôle de Churchill. Il a tenu tête aux « appeasers » – les partisans de l’apaisement avec l’Allemagne – en 1940. Quant à la récupération de l’affaire Hess, elle tient du coup de génie. Avec elle, Churchill a voulu faire croire à Staline qu’il y avait une possibilité d’entente entre l’Angleterre et l’Allemagne et que lui-même était menacé. En réalité, en 1941, il n’y avait plus aucune chance qu’une telle solution l’emporte. Le « blitz » sur Londres avait eu lieu entre-temps, Lord Halifax et tout le parti de la paix avaient été éliminés. Mais l’Angleterre était en mauvaise posture à cause de la guerre sous-marine, et il était urgent qu’un second front s’ouvre en Europe. Or Staline, malgré les avertissements de Churchill, ne voulait pas croire à l’imminence d’une attaque allemande. L’affaire Hess était pour Churchill l’occasion de le sensibiliser au danger. Directement après la guerre, Churchill a cherché à redorer le blason de la Grande-Bretagne. Il aurait fait détruire des archives compromettantes de Mussolini… Y avait-il dans ces papiers de quoi démontrer que l’Angleterre aurait pu faire un autre régime de Vichy ? Je le pense vraiment. Nous n’aurons jamais la preuve absolue de ce qui est arrivé à ces documents. Mais on sait que Churchill est allé en Italie en 1945 où il a rencontré des gens qui avaient des documents de Mussolini. Les a-t-il lui-même récupérés ? Je ne sais pas. Mais il est clair qu’il a agi pour la réputation de la Grande-Bretagne, n’ayant rien à se reprocher personnellement. Je pense qu’il voulait écrire l’histoire d’une Grande-Bretagne exemplaire, un peu comme De Gaulle a cherché à le faire pour la France. La décolonisation fut une conséquence lointaine de la Seconde Guerre. En se tournant vers les Etats-Unis, Churchill a fait entrer le loup dans la bergerie. Les colonies britanniques deviendront un jour le lieu du grand commerce américain, et donc de l’influence de Washington… Absolument. Ce fut certainement un dilemme profond pour le grand impérialiste qu’était Churchill. Mais n’oublions pas que sa mère était américaine. Et puis il n’a jamais cru aux promesses d’Hitler. Il a donc choisi le camp de la liberté, même si cela devait à terme amputer la Grande-Bretagne d’une grande partie de son empire et de son influence. Après avoir quitté le pouvoir, il a dit à des proches avoir fait énormément de choses qui, finalement, « n’auront servi à rien » car il n’y avait plus d’empire britannique. Tout s’est joué en juin 1940, alors que les troupes françaises et britanniques étaient encerclées à Dunkerque. Si la paix avait été signée à cet instant entre Berlin et Londres, tout aurait été différent. On ne refait pas l’histoire avec des « si ». Mais il est clair que la paix établie, l’Amérique isolationniste n’aurait eu aucun intérêt à reconquérir l’Europe, puisqu’elle n’aurait pas pu compter sur l’Angleterre comme base de départ. L’Aigle et le Léopard, Eric Branca, Editions Perrin, 432 pages, 23,50 € Il s’en est fallu de peu pour que ne réussisse l’entreprise de séduction lancée par Hitler sur Londres avant-guerre. Son échec décidera de l’ordre du monde tel que nous le connaissons encore aujourd’hui. Par Pascal Martin Journaliste au service Forum Le 23/03/2023 à 15:49