Qui franchise sans sommation récolte la colère
Qui franchise sans sommation récolte la colère Photo News. Le 27 février 1997, c’est un tremblement de terre qui secoue la Belgique. Lors d’une conférence de presse convoquée en urgence à Bruxelles, le groupe Renault, par la voix de son PDG, annonce qu’il va fermer son usine de Vilvorde. Une fermeture irrévocable qui met au chômage 3.098 personnes. La direction française reconnaît la qualité de la production de la main-d’œuvre belge, mais les circonstances de marché et de rentabilité lui imposent, dit-elle, cette fermeture immédiate et sans sommation. La colère alors éclate, le dégoût aussi, bien au-delà du personnel concerné ; le politique mis devant le fait accompli va dire son indignation et tenter de faire « payer » le prix fort au constructeur automobile, à défaut de le faire changer d’avis, les syndicats vont organiser des manifestations monstres d’envergure européenne. Avec, au final, un pis-aller : une procédure dite Renault, qui forcera pour le futur tout actionnaire qui a envie de fermer une usine d’une certaine taille en Belgique à ne pas le faire comme un voyou, mais dans les formes et surtout après des négociations et avec de l’argent. C’est ce souvenir qui a resurgi lors de l’annonce, le mardi 7 mars dernier, par Delhaize, du passage d’un coup sous franchise de ses 128 supermarchés. Evidemment, Ahold Delhaize ne « ferme pas boutique » en Belgique ; il promet même aux 9.200 membres du personnel qu’ils conserveront leurs contrats – les salaires et conditions de travail prévus dans la convention collective actuelle – dont il jure qu’ils seront respectés par leur nouvel employeur indépendant. À lire aussi Delhaize: les syndicats bloquent, la direction avance Mais la radicalité de la décision annoncée, le changement de monde qu’elle impose, la rupture avec une tradition sociale et d’affaires de longue durée au sein de l’entreprise, l’absence de sommation et l’irrévocabilité de la décision évoquent ce fameux instant « Renault ». Depuis quinze jours, ce sont deux murs qui s’affrontent. La direction demande aux syndicats et au personnel de lui faire confiance et de la croire quand elle affirme que rien ne changera pour eux. Impossible cependant pour un personnel qui se sent juste trahi, berné et lâché. On ne peut pas vouloir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière, même quand on est un grand patron de la distribution. Franchiser sans sommation, c’est récolter la colère et perdre le respect de son personnel. La direction de Delhaize, comme celle de Renault il y a 26 ans, ne peut pas se dire surprise de la réaction qui lui est opposée. C’est son droit de restructurer l’entreprise, mais c’est son devoir de le faire avec des manières et en y mettant le prix. Au politique, faute d’autre réaction possible, de l’imposer à tous ceux qui seront tentés par cette restructuration déguisée – et il y en aura –, via une « procédure Delhaize » ? On ne peut pas vouloir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière, même quand on est un grand patron de la distribution. Par Béatrice Delvaux Editorialiste en chef Le 22/03/2023 à 00:01
www.lesoir.be
Qui franchise sans sommation récolte la colère
Qui franchise sans sommation récolte la colère Photo News. Le 27 février 1997, c’est un tremblement de terre qui secoue la Belgique. Lors d’une conférence de presse convoquée en urgence à Bruxelles, le groupe Renault, par la voix de son PDG, annonce qu’il va fermer son usine de Vilvorde. Une fermeture irrévocable qui met au chômage 3.098 personnes. La direction française reconnaît la qualité de la production de la main-d’œuvre belge, mais les circonstances de marché et de rentabilité lui imposent, dit-elle, cette fermeture immédiate et sans sommation. La colère alors éclate, le dégoût aussi, bien au-delà du personnel concerné ; le politique mis devant le fait accompli va dire son indignation et tenter de faire « payer » le prix fort au constructeur automobile, à défaut de le faire changer d’avis, les syndicats vont organiser des manifestations monstres d’envergure européenne. Avec, au final, un pis-aller : une procédure dite Renault, qui forcera pour le futur tout actionnaire qui a envie de fermer une usine d’une certaine taille en Belgique à ne pas le faire comme un voyou, mais dans les formes et surtout après des négociations et avec de l’argent. C’est ce souvenir qui a resurgi lors de l’annonce, le mardi 7 mars dernier, par Delhaize, du passage d’un coup sous franchise de ses 128 supermarchés. Evidemment, Ahold Delhaize ne « ferme pas boutique » en Belgique ; il promet même aux 9.200 membres du personnel qu’ils conserveront leurs contrats – les salaires et conditions de travail prévus dans la convention collective actuelle – dont il jure qu’ils seront respectés par leur nouvel employeur indépendant. À lire aussi Delhaize: les syndicats bloquent, la direction avance Mais la radicalité de la décision annoncée, le changement de monde qu’elle impose, la rupture avec une tradition sociale et d’affaires de longue durée au sein de l’entreprise, l’absence de sommation et l’irrévocabilité de la décision évoquent ce fameux instant « Renault ». Depuis quinze jours, ce sont deux murs qui s’affrontent. La direction demande aux syndicats et au personnel de lui faire confiance et de la croire quand elle affirme que rien ne changera pour eux. Impossible cependant pour un personnel qui se sent juste trahi, berné et lâché. On ne peut pas vouloir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière, même quand on est un grand patron de la distribution. Franchiser sans sommation, c’est récolter la colère et perdre le respect de son personnel. La direction de Delhaize, comme celle de Renault il y a 26 ans, ne peut pas se dire surprise de la réaction qui lui est opposée. C’est son droit de restructurer l’entreprise, mais c’est son devoir de le faire avec des manières et en y mettant le prix. Au politique, faute d’autre réaction possible, de l’imposer à tous ceux qui seront tentés par cette restructuration déguisée – et il y en aura –, via une « procédure Delhaize » ? On ne peut pas vouloir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière, même quand on est un grand patron de la distribution. Par Béatrice Delvaux Editorialiste en chef Le 22/03/2023 à 00:01