Le système scolaire finlandais était, autrefois, le meilleur au monde
Le système scolaire finlandais était, autrefois, le meilleur au monde OLIVIER MORIN/AFP Il y a des constats que les politiques peuvent difficilement enjoliver. « Nous ne sommes plus le pays proposant la meilleure éducation. Nos jeunes ne sont plus les plus intelligents. » C’est en ces termes qu’Anita Lehikoinen, secrétaire d’Etat au ministère finlandais de l’Education, a commenté les résultats d’une étude menée par ses services. Par cet aveu, la femme politique a alimenté dans son pays un débat houleux sur les problèmes des écoles finlandaises. La discussion a de quoi surprendre. Ici et ailleurs, le système scolaire finlandais est toujours considéré comme l’un des meilleurs au monde, voire le meilleur, une renommée due aux excellents résultats obtenus par les élèves finlandais dans le cadre de l’étude comparative Pisa de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Dès sa première publication, fin 2001, la Finlande était considérée comme le « grand vainqueur ». Les élèves avaient obtenu des résultats supérieurs à la moyenne internationale en lecture, en écriture et en calcul. Les années qui ont suivi, des experts en éducation issus du monde entier ont afflué sur place afin de percer le secret de la réussite des écoles finlandaises. À lire aussi «Pisa: regarder au-delà des moyennes» Pourtant, en Finlande, malgré toute la fierté associée à cette renommée internationale, les écoles sont désormais considérées comme un problème. « Les performances du système scolaire finlandais se dégradent depuis vingt ans, et le déclin s’est accéléré ces dernières années », déclare Jaakko Salo, responsable du secteur de la politique éducative au sein du syndicat finlandais des enseignants OAJ. « On le voit clairement dans les évaluations nationales, mais aussi dans la comparaison internationale Pisa. Que ce soit en lecture, en écriture ou en mathématiques, le tableau est le même partout. » Que les syndicalistes déplorent la situation dans les écoles, il fallait s’y attendre. Or, même les experts internationaux confirment le constat. « La baisse des performances du système scolaire finlandais est flagrante », explique Andreas Schleicher, chercheur en éducation qui coordonne l’étude Pisa, ce qui lui a valu le surnom de Mister Pisa. « Cela fait quelques années que nous observons cette tendance dans les données comparatives internationales, et elle concerne tous les domaines de performance. » « Un coup d’œil dans le rétroviseur » D’après l’étude du ministère de l’Education, le système scolaire finlandais est certes toujours bon, mais il n’est plus excellent. Le baromètre des performances de l’OCDE pour la Finlande indique lui aussi que ces écoles, autrefois considérées comme des modèles, font face à des problèmes. Ainsi, le niveau moyen de compétence en lecture, en mathématiques et en sciences est en baisse depuis le début du millénaire, et la proportion d’élèves performants en mathématiques et en sciences a fortement diminué au cours des vingt dernières années. En revanche, la proportion d’élèves peu performants ne cesse d’augmenter. Selon des études finlandaises, les élèves ont perdu l’équivalent d’une à deux années scolaires au cours des dernières décennies. « Les résultats finlandais de l’étude Pisa, qui ont impressionné le monde entier, correspondaient en fait à un coup d’œil dans le rétroviseur et ont donné dès le départ une image erronée de l’état du système scolaire », explique Jaakko Salo. « A l’époque, lorsque les superbes résultats ont été publiés, juste après le passage au nouveau millénaire, le système scolaire finlandais était déjà sur le déclin. » Selon l’étude, le groupe d’âge le plus instruit est celui des Finlandais nés en 1978, qui ont terminé leur scolarité au milieu des années 90 et qui ont aujourd’hui 44 ou 45 ans. Les groupes d’âge suivants n’ont plus jamais atteint ce niveau de réussite, précise l’étude. Les causes du malaise du système éducatif finlandais font, depuis longtemps, l’objet de discussions parmi les experts. Voici les trois principales. 1 L’immigration « L’immigration et la diversité croissante de la population scolaire qui en résulte sont clairement une des raisons de la baisse de régime », déclare Andreas Schleicher. « La migration des réfugiés a pris le système scolaire finlandais par surprise. Il n’avait pas les capacités nécessaires, une réalité à laquelle sont venus s’ajouter des problèmes d’ordre linguistique et un contexte culturel différent. La Finlande a été prise au dépourvu. » Et le chercheur en éducation de mettre en garde : « La Suède était autrefois un modèle, mais les écoles sur place ont été littéralement envahies par les migrants et le système éducatif ne suit plus. Dès que la proportion d’enfants issus de l’immigration atteint 40 ou 45 %, cela devient difficile ; je ne connais aucun pays qui s’en sorte particulièrement bien. » Pour Andreas Schleicher, seul le Canada fait un travail fantastique en matière d’intégration scolaire. À lire aussi Enseignement: le Pacte d’excellence va-t-il entraîner un nivellement par le bas? 2 La réforme des programmes scolaires Autre cause du malaise finlandais, qui fournit un avertissement supplémentaire aux politiques en charge de l’éducation à travers le monde : la réforme ambitieuse et précipitée des programmes scolaires finlandais a déstabilisé les enseignants, qui se sont souvent sentis dépassés. Il y a quelques années, le ministère de l’Education a opéré un tournant radical en passant d’un enseignement avec des contenus fixes à un apprentissage orienté sur les phénomènes. Les matières scolaires ne sont plus enseignées séparément. Au lieu de cela, les enseignants enseignent des ensembles de thèmes qui sont abordés dans différentes disciplines. « Le système scolaire finlandais n’était pas correctement préparé à l’apprentissage axé sur les phénomènes », explique Andreas Schleicher. Entre-temps, des mesures ont été prises, et les programmes scolaires s’orientent à nouveau davantage vers l’apprentissage traditionnel. 3 La réduction des dépenses consacrées à l’éducation Les données de l’OCDE montrent également que l’égalité des chances dans le système scolaire finlandais a diminué au cours des dernières années – un constat qui doit être particulièrement douloureux pour la Finlande. Les écoles finlandaises ont en effet toujours été saluées pour leur capacité à soutenir les enfants scolairement défavorisés, de manière à ce qu’ils puissent rattraper les enfants plus privilégiés. Mais ça aussi, ça a changé. Pourquoi ? Parce qu’il y a moins d’argent pour l’éducation. Durant la crise bancaire et économique qu’a connue la Finlande pendant les années 90 et les années qui ont suivi, le gouvernement finlandais a fortement réduit les dépenses consacrées à l’éducation. « Les dépenses en matière d’éducation ont chuté d’un quart et n’ont jamais retrouvé leur niveau d’avant », explique Aleksi Kalenius, conseiller gouvernemental. Conséquence : les écoles et les communes manquent d’argent pour offrir un soutien personnalisé. « Nous avons maintenant plusieurs enfants qui sortent de l’école primaire en ne sachant ni lire, ni écrire, ni compter », explique Jaakko Salo. « C’était impensable il y a encore quinze ans. » Depuis vingt ans, le niveau des écoles finlandaises ne cesse de baisser. Les experts y voient trois raisons principales. Avec LéNA, découvrez le meilleur du journalisme européen. Par Tobias Kaiser (Die Welt) Le 24/03/2023 à 12:39
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Le système scolaire finlandais était, autrefois, le meilleur au monde
Le système scolaire finlandais était, autrefois, le meilleur au monde OLIVIER MORIN/AFP Il y a des constats que les politiques peuvent difficilement enjoliver. « Nous ne sommes plus le pays proposant la meilleure éducation. Nos jeunes ne sont plus les plus intelligents. » C’est en ces termes qu’Anita Lehikoinen, secrétaire d’Etat au ministère finlandais de l’Education, a commenté les résultats d’une étude menée par ses services. Par cet aveu, la femme politique a alimenté dans son pays un débat houleux sur les problèmes des écoles finlandaises. La discussion a de quoi surprendre. Ici et ailleurs, le système scolaire finlandais est toujours considéré comme l’un des meilleurs au monde, voire le meilleur, une renommée due aux excellents résultats obtenus par les élèves finlandais dans le cadre de l’étude comparative Pisa de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Dès sa première publication, fin 2001, la Finlande était considérée comme le « grand vainqueur ». Les élèves avaient obtenu des résultats supérieurs à la moyenne internationale en lecture, en écriture et en calcul. Les années qui ont suivi, des experts en éducation issus du monde entier ont afflué sur place afin de percer le secret de la réussite des écoles finlandaises. À lire aussi «Pisa: regarder au-delà des moyennes» Pourtant, en Finlande, malgré toute la fierté associée à cette renommée internationale, les écoles sont désormais considérées comme un problème. « Les performances du système scolaire finlandais se dégradent depuis vingt ans, et le déclin s’est accéléré ces dernières années », déclare Jaakko Salo, responsable du secteur de la politique éducative au sein du syndicat finlandais des enseignants OAJ. « On le voit clairement dans les évaluations nationales, mais aussi dans la comparaison internationale Pisa. Que ce soit en lecture, en écriture ou en mathématiques, le tableau est le même partout. » Que les syndicalistes déplorent la situation dans les écoles, il fallait s’y attendre. Or, même les experts internationaux confirment le constat. « La baisse des performances du système scolaire finlandais est flagrante », explique Andreas Schleicher, chercheur en éducation qui coordonne l’étude Pisa, ce qui lui a valu le surnom de Mister Pisa. « Cela fait quelques années que nous observons cette tendance dans les données comparatives internationales, et elle concerne tous les domaines de performance. » « Un coup d’œil dans le rétroviseur » D’après l’étude du ministère de l’Education, le système scolaire finlandais est certes toujours bon, mais il n’est plus excellent. Le baromètre des performances de l’OCDE pour la Finlande indique lui aussi que ces écoles, autrefois considérées comme des modèles, font face à des problèmes. Ainsi, le niveau moyen de compétence en lecture, en mathématiques et en sciences est en baisse depuis le début du millénaire, et la proportion d’élèves performants en mathématiques et en sciences a fortement diminué au cours des vingt dernières années. En revanche, la proportion d’élèves peu performants ne cesse d’augmenter. Selon des études finlandaises, les élèves ont perdu l’équivalent d’une à deux années scolaires au cours des dernières décennies. « Les résultats finlandais de l’étude Pisa, qui ont impressionné le monde entier, correspondaient en fait à un coup d’œil dans le rétroviseur et ont donné dès le départ une image erronée de l’état du système scolaire », explique Jaakko Salo. « A l’époque, lorsque les superbes résultats ont été publiés, juste après le passage au nouveau millénaire, le système scolaire finlandais était déjà sur le déclin. » Selon l’étude, le groupe d’âge le plus instruit est celui des Finlandais nés en 1978, qui ont terminé leur scolarité au milieu des années 90 et qui ont aujourd’hui 44 ou 45 ans. Les groupes d’âge suivants n’ont plus jamais atteint ce niveau de réussite, précise l’étude. Les causes du malaise du système éducatif finlandais font, depuis longtemps, l’objet de discussions parmi les experts. Voici les trois principales. 1 L’immigration « L’immigration et la diversité croissante de la population scolaire qui en résulte sont clairement une des raisons de la baisse de régime », déclare Andreas Schleicher. « La migration des réfugiés a pris le système scolaire finlandais par surprise. Il n’avait pas les capacités nécessaires, une réalité à laquelle sont venus s’ajouter des problèmes d’ordre linguistique et un contexte culturel différent. La Finlande a été prise au dépourvu. » Et le chercheur en éducation de mettre en garde : « La Suède était autrefois un modèle, mais les écoles sur place ont été littéralement envahies par les migrants et le système éducatif ne suit plus. Dès que la proportion d’enfants issus de l’immigration atteint 40 ou 45 %, cela devient difficile ; je ne connais aucun pays qui s’en sorte particulièrement bien. » Pour Andreas Schleicher, seul le Canada fait un travail fantastique en matière d’intégration scolaire. À lire aussi Enseignement: le Pacte d’excellence va-t-il entraîner un nivellement par le bas? 2 La réforme des programmes scolaires Autre cause du malaise finlandais, qui fournit un avertissement supplémentaire aux politiques en charge de l’éducation à travers le monde : la réforme ambitieuse et précipitée des programmes scolaires finlandais a déstabilisé les enseignants, qui se sont souvent sentis dépassés. Il y a quelques années, le ministère de l’Education a opéré un tournant radical en passant d’un enseignement avec des contenus fixes à un apprentissage orienté sur les phénomènes. Les matières scolaires ne sont plus enseignées séparément. Au lieu de cela, les enseignants enseignent des ensembles de thèmes qui sont abordés dans différentes disciplines. « Le système scolaire finlandais n’était pas correctement préparé à l’apprentissage axé sur les phénomènes », explique Andreas Schleicher. Entre-temps, des mesures ont été prises, et les programmes scolaires s’orientent à nouveau davantage vers l’apprentissage traditionnel. 3 La réduction des dépenses consacrées à l’éducation Les données de l’OCDE montrent également que l’égalité des chances dans le système scolaire finlandais a diminué au cours des dernières années – un constat qui doit être particulièrement douloureux pour la Finlande. Les écoles finlandaises ont en effet toujours été saluées pour leur capacité à soutenir les enfants scolairement défavorisés, de manière à ce qu’ils puissent rattraper les enfants plus privilégiés. Mais ça aussi, ça a changé. Pourquoi ? Parce qu’il y a moins d’argent pour l’éducation. Durant la crise bancaire et économique qu’a connue la Finlande pendant les années 90 et les années qui ont suivi, le gouvernement finlandais a fortement réduit les dépenses consacrées à l’éducation. « Les dépenses en matière d’éducation ont chuté d’un quart et n’ont jamais retrouvé leur niveau d’avant », explique Aleksi Kalenius, conseiller gouvernemental. Conséquence : les écoles et les communes manquent d’argent pour offrir un soutien personnalisé. « Nous avons maintenant plusieurs enfants qui sortent de l’école primaire en ne sachant ni lire, ni écrire, ni compter », explique Jaakko Salo. « C’était impensable il y a encore quinze ans. » Depuis vingt ans, le niveau des écoles finlandaises ne cesse de baisser. Les experts y voient trois raisons principales. Avec LéNA, découvrez le meilleur du journalisme européen. Par Tobias Kaiser (Die Welt) Le 24/03/2023 à 12:39